Wilfrid S.

Conseillé par (Libraire)
24 janvier 2021

C'est une lettre que Robert Bober adresse à un absent, son ami Pierre Dumayet mort en 2011, un absent dont on sent la présence à chaque page. Une lettre pour celui avec lequel il a tant travaillé, filmé, parlé, lu. Pierre Dumayet qui amena la littérature à la télévision, avec l'émission Lectures pour tous. De cette lettre irradie la puissante chaleur de l'amitié et de la reconnaissance.
C'est un livre en désordre, comme une bibliothèque au classement indéchiffrable, un livre généreux qui donne envie de lire des dizaines de livres, de voir des centaines de films. Ce sont des histoires qu'un grand père miraculeux, à l'instar du personnage de Martin Buber, vous raconte un soir d'hiver, le regard entre les rires et les larmes. Des histoires d'un monde perdu, traversées par des destins brisés de familles et d'enfants qui ne sont jamais revenus des camps, par des récits de rabbins, par la malice de Pérec, les fulgurances de Jankelevitch, les silences de Duras, la pertinence d'un éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens. C'est un monde de souvenirs, de photos, d'images qui s'anime devant nous, humain, bouleversant, profond. C'est un combat contre le néant. Une tentative de réunir, de rassembler, peut-être une dernière fois.

Moi aussi j'aurais aimé que Pierre Dumayet m'apprenne à lire et à écouter les silences, lui qui s'interroge dans Autobiographie d'un lecteur – Pauvert 2000 - "Les sentiments que nous éprouvons pour des personnages fictifs sont-ils réels ?" Et qui nous guide vers ce que nous aimerions dire des livres "Ce que je voudrais décrire, c'est la peau du texte. Comment l'écriture m'a touché. Pas comme une bonne action touche, non. Comme une main touche une nuque ou une autre main." C'est comme cela que ce livre m'a touché.

Wilfrid

Madrid, 1936

Points

Conseillé par (Libraire)
17 juillet 2020

Anthony Whitelands est un discret universitaire britannique spécialisé dans la peinture du siècle d'or espagnol, particulièrement versé dans l'oeuvre de Velasquez. Son existence terne, seulement animée par une relation adultérine et coupable, est brusquement secouée par une mission qui doit le mener à Madrid. Mandaté par un marchand interlope il doit estimer des tableaux appartenant au duc de la Igualada, on lui fait miroiter une substantielle reconnaissance, tant matérielle que symbolique, une occasion rêvée d'assurer ses arrières et de relancer sa carrière.
Mais Anthony, vite rebaptisé Tonio, arrive en Castille dans une ambiance qui sent la poudre, nous sommes en 1936, le Front populaire vient de gagner les élections, la Phalange s'arme et quelques généraux s'interrogent sur la pertinence d'un coup d'Etat pour "rétablir l'ordre". Malgré lui le discret professeur va s'enfoncer dans des embrouilles de plus en plus abyssales et tomber amoureux, sans jamais perdre de vue un tableau inestimable qui lui fait également tourner la tête. En effet, notre pusillanime sujet de sa majesté n'a rien d'un James Bond...
Bataille de chats – point de félins ici, en Espagne on appelle traditionnellement les madrilènes des gatos, des chats, - est un roman qui cumule de nombreux charmes : le lecteur est plongé dans l'ambiance de Madrid en 1936, par la magie d'un petit tableau on croise toutes les forces en présence : phalangistes, communistes, services secrets, aristocrates conservateurs et irrésolus ; les situations burlesques n'enlèvent rien à la tension générale, l'ambiance s'alourdit au fil des pages, l'intrigue se complexifie à mesure que s'ouvre les chausse-trappes dans lesquelles Tonio ne manque pas de tomber. Les pages sur la peinture sont passionnantes et l'auteur saisit, à la fois avec tendresse et ironie, les hésitations mélancoliques, les atermoiements de ceux qui, faute de mieux, font l'Histoire.
Recommandé pour les amateurs de peinture, de Madrid, de café et churros le matin, déconseillé pour les amoureux des chats abusés par le titre.

Christian Bourgois

Conseillé par (Libraire)
2 juillet 2020

A la tombée de la nuit un homme arrive seul dans un village où l'on n'a pas vu d'étranger depuis longtemps. L'accueil est froid et étrange. Dans cette vallée encaissée, dans ce village cerné de rocailles on ne connaît que deux saisons : 40 mois de pluie automnale et 40 mois d'hiver glacial. On ne s'y nourrit que de lentilles, on ne s'y enivre que de liqueurs de lentilles. Les moeurs de la population sont étranges et dérangeants, le café-hôtel où loge Siméon est d'une crasse époustouflante, tenu par la veuve Ham, une femme énorme contenue dans un corset gigantesque. Que cherche Siméon dans ce coin désolé ? Que va-t-il advenir de lui ?
C'est le genre d'ouvrage qui prenait la poussière dans ma bibliothèque depuis des années, un livre qui m'intriguait et me repoussait à la fois, nimbé d'une légende sulfureuse "un livre atroce, d'une noirceur indicible", mais aussi un livre culte pour beaucoup.
Fascinant, au sens strict et profond du terme, j'ai été fasciné par cet univers étrange, cet imaginaire puissant, par ces vies glauques, ces scènes où l'on ne sait si l'on doit rire ou pleurer, par cette ambiance d'eau, de boue, de pourriture, de glace ensuite, par cette survie animale, brusque, par cette humanité étrange, si éloignée et pourtant si proche, comme une planète des singes. Le livre a été publié pour la première fois en 1965 chez Julliard, puis repris par Bourgois en 1975, l'édition de poche (10/18, 1984) était depuis longtemps épuisée, c'est un événement littéraire de retrouver ce texte en poche, l'écriture simple et élégante n'a pas pris une ride, si vous n'avez pas peur d'être secoués jetez-vous sur cet étrange livre.
Recommandé pour les amateurs de littérature américaine crasseuse, de contes cruels, pour ceux qui se plaignent toujours d'avoir un "temps pourri".

Conseillé par (Libraire)
16 juin 2020

Douze nouvelles qui ont toutes trait au monde de la justice, crime, crime parfait(?) culpabilité, jugement, sanction ou pas... C'est une femme à l'équilibre fragile qui devient juré d'assise ; un avocat alcoolique, vieil gloire du barreau qui joue sa dernière carte ; une femme accusée d'avoir violenté son enfant ; un vieil homme reclu dans sa maison au bord du lac qui veut préserver sa tranquillité...

Ferdinand Von Schirach est une sorte de star du monde juridique allemand, avocat de la défense au barreau de Berlin depuis 1994, Sanction est son sixième livre publié en France, j'ai lu tous les précédents avec un immense plaisir coupable.

Toutes ces nouvelles sont parfaites, douze nouvelles, douze crochets au foie ! Avec une grande économie de moyen il vous emmène au coeur de l'âme humaine, vous coupe le souffle, en deux temps trois mouvements vous êtes cueilli et sur le... On imagine que l'avocat a dû en voir et en entendre des histoires sordides et il en fait une pâte humaine et sensible, trop humaine.

Recommandé pour tous ceux qui n'aiment pas les nouvelles, vous allez changer d'avis, pour les amateurs d'intrigues judiciaires, pour ceux qui aiment les histoires qui en disent long sur la nature humaine...

Conseillé par (Libraire)
16 juin 2020

Rice Moore est le nouveau gardien d'une réserve naturelle située dans les Appalaches détenue depuis des décennies par la famille Traver qui y protège scrupuleusement ses forêts primaires et sa population d'ours entre autres joyaux de ces montagnes d'une somptueuse sauvagerie. Rice y coule des jours tranquilles, jusqu'à ce qu'il découvre une dépouille d'ours affreusement mutilée et se lance aux trousses de braconniers impliqués dans de sordides trafics. Son enquête va l'amener à prendre de très gros risques, à remuer d'anciennes histoires. Mais pourquoi, au juste, Rice est-il venu se planquer dans cette réserve réputée impénétrable ? Pour un premier roman James A.McLaughlin tape très fort, les cadors de chez Gallmeister n'ont qu'à bien se tenir, nous sommes dans le meilleur du nature writing noir. On plonge avec Rice dans les sombres beautés sauvages de la réserve, dans les affres de sa conscience, la menace qui plane sur son monde est palpable et saisi le lecteur à chaque page. Recommandé pour les amateurs d'espaces sauvages, pour les amoureux de Jim Harrison, pour ceux qui aiment les ours et les chiens.