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D'autres vies que la mienne
Comment affrontons-nous la mort et la maladie ? Comment vivons-nous notre vie ? Ceux que nous côtoyons nous le révèlent malgré eux, malgré nous. E. Carrère était au Sri Lanka lors du Tsunami, témoin de la disparition de la fillette d’un couple rencontré au hasard des vacances. Témoin de l’effondrement de toute une vie : plus rien n’est comme avant maintenant que Juliette n’est plus. Comment vivre alors ? Il y aussi le cancer de sa belle-soeur Juliette alors qu’elle est âgée d’une trentaine d’année, magistrate et mère de trois enfants. Combattre la maladie tout en reconnaissant son impuissance
à la vaincre. Impressionner son entourage par sa manière de vivre dans l’adversité. Lutter pour la justice en sachant que la vérité ne l’emporte pas toujours. E. Carrère a l’art de raconter la vie des autres, de partager cette intimité dans laquelle il nous plonge sans voyeurisme mais avec pudeur et respect.
Etienne, magistrat et collègue de travail de Juliette, partage avec la famille ce qu’elle fut pour lui. Elle n’est plus mais n’en est pas moins présente en chacun de ceux qui l’ont connue. Ces histoires rejaillissent sur le présent de l’auteur, sur une vie d’homme et d’écrivain, sur les questions qui la traversent. Ecouter ceux qui ont été confrontés à l’expérience de la maladie et de la mort pour mieux redécouvrir ce qui fait vivre. « La pire défaite en tout, c’est d’oublier, et surtout ce qui vous a fait crever. » L’écrivain a pour mission de garder trace de la vie, de garder la mémoire des vivants qui aujourd’hui ont disparu, de panser, ce qui peut être pansé, en faisant le récit d’autres vies que la sienne. Une vie qui n’en finit pas de se dire et de se partager. Apprenant qu’il devenait une seconde fois père, E. Carrère écrit : « malgré mon désarroi, j’ai pensé que mieux valait dire oui que non, et plus ou moins consciemment,
à tâtons, travailler à changer. »
Franck Delorme, rédacteur en chef de la revue Etudes
L'annonce - Marie-Hélène Lafon
D’une très belle écriture, Marie- Hélène Lafon raconte l’histoire d’une rencontre, par annonce interposée. Annette, récemment séparée de Didier, le père d’Eric, habitant Bailleul dans le nord, désireuse de recommencer sa vie. Paul, paysan à Fridières, dans le Cantal, à la cherche de quelqu’un qui accepterait de vivre avec lui. Une rencontre puis la décision de vivre ensemble, l’arrivée d’une étrangère et de son fils dans cette famille où vivent Nicole, la soeur, et les deux oncles octogénaires. Relever le défi d’être acceptée par la tribu. Oublier les contours de l’histoire du nord pour mieux recommencer. Les voici, comme deux étrangers, tombés dans un pays où les mots manquaient pour dire la beauté de la nature au printemps. « C’était de tout temps cette confluence de juin, ce rassemblement des forces, lumière vent eau feuilles herbes fleurs bêtes, pour terrasser l’homme, l’impétrant, le bipède aventuré, confiné dans sa peau étroite, infime. » M.-H. Lafon a l’art d’évoquer une terre, un pays mais aussi de saisir chacun dans sa personnalité ; par petites touches les relations se tissent, les difficultés se manifestent, naît l’apprentissage d’une vie commune au milieu de laquelle la parole fait son chemin. Ainsi s’exprime le désir de vivre malgré tout, de prendre soin de ces liens qui font la vie, pour tourner la tête vers l’avenir. Eric ouvre le chemin lorsqu’il surprend et se surprend à laisser les phrases rouler, « s’avançant en terrain nu et neuf ». Une invitation pour Annette à risquer les mots, des mots collés tout au fond d’elle. Annonce d’une histoire, histoire d’une vie.
Franck Delorme -Rédacteur en chef de la Revue ETUDES
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