Le Compromis
EAN13
9782889601097
Éditeur
La Baconnière
Date de publication
Langue
français
Langue d'origine
russe
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Le Compromis

La Baconnière

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Ces douze nouvelles s’ouvrent sur autant d’articles a priori anodins rédigés
pour des journaux estoniens, où Sergueï Dovlatov travaille après avoir été
licencié de son poste à Leningrad. Ils servent de prétexte à l’auteur pour
nous raconter les coulisses de ses reportages, et le bras de fer permanent
auquel le journaliste doit se livrer face à la censure et aux directives que
le Parti entend bien lui faire suivre. Douze «compromis» savoureux qui nous
laissent entrevoir, derrière la façade idéologique mâtinée de mensonges, des
histoires, des tranches de vie – absurdes, tendres, cruelles, drôles. Avec son
inégalable goût de la satire, Sergueï Dovlatov conte les tragi-comédies du
quotidien. Comme cet enterrement d’une figure importante de la télévision
d’état au cours duquel on se rend compte que l’on s’est trompé de cadavre.
Pourtant, la cérémonie continue comme si de rien n’était car elle est diffusée
en direct. Et les hommages d’inconnus dont les discours ont été préalablement
approuvés par les autorités pleuvent sur le mauvais mort. Ceux qui se laissent
encore et malgré tout guider par l’amour de la littérature et de la vérité
survivent comme ils peuvent face aux injonctions idéologiques, dans cette
république soviétique d’Estonie à l’époque de Brejnev. Certains ploient,
d’autres se rebellent, la plupart s’abîment dans la vodka. Ces «compromis» se
comprennent ici tout à la fois comme les concessions que le journaliste se
voit forcé de faire pour continuer à travailler et à vivre dans la société
soviétique, et reflètent dans le même temps la position de plus en plus
dangereuse dans laquelle le place son esprit contestataire, son refus, son
impossibilité viscérale de continuer à se soumettre à la farce politique.
Chaque journaliste peut se permettre une transgression aux principes de la
morale socialiste. Mais pas plus. On tolère qu’un tel boive. Que tel autre
fasse du grabuge. Qu’un troisième raconte des histoires politiques. Qu’un
quatrième soit juif. Qu’un cinquième ne soit pas membre du Parti et qu’un
sixième mène une existence amorale. Etc. Mais, je le répète, chacun n’a droit
qu’à une seule dérogation. Il est interdit d’être en même temps juif et
ivrogne. Houligan et sans-Parti. Or je manifestais une triste universalité
dans le domaine du vice. Aucun défaut ne m’était étranger. Alors, on m’a
licencié. On m’a convoqué à la réunion du comité du Parti et on m’a dit: — Ça
suffit! N’oubliez pas que le journalisme est à l’avant-garde du front
idéologique. Au front, l’essentiel, c’est la discipline. Or c’est justement ce
qui vous fait défaut. C’est clair? — Plus ou moins. — Nous vous offrons une
chance de vous corriger. Allez à l’usine. Accomplissez un dur labeur physique.
Devenez correspondant ouvrier. Et reflétez la vraie vie dans vos
correspondances. Là, je n’ai pu m’empêcher de répliquer : — Si je reflète la
vraie vie, vous me fusillerez sans jugement! Les membres du comité ont échangé
des regards indignés. Et ils m’ont licencié «à ma propre demande». Sergueï
Dovlatov, qui a transformé sa propre biographie en œuvre littéraire, est né le
22 juin 1941 à Oufa, en république de Bachkirie, d’un père régisseur de
théâtre d’origine juive et d’une mère correctrice d’origine arménienne. En
1944, il regagne avec ses parents Leningrad, d’où la famille avait été
évacuée. Après ses études secondaires, il travaille quelque temps dans une
imprimerie avant d’intégrer la faculté de lettres de l’université de Léningrad
où il étudie deux ans et demi. Durant cette période, il fréquente les poètes
non officiels, notamment Joseph Brodsky, Evgueni Reïn et Anatoli Naïman, et se
marie une première fois (avec Assia Pekourovskaïa, avec qui il a une fille,
Maria, en 1970, alors qu’ils sont déjà divorcés). Suite à son exclusion de
l’université, il est appelé sous les drapeaux et se retrouve pendant trois ans
(1962-1965) gardien d’un camp de détenus de droit commun situé en république
des Komis. Il revient avec dans ses bagages le brouillon de La Zone qui aborde
le thème des camps d’une manière totalement nouvelle et qui est, bien
évidemment, totalement impubliable sous le régime soviétique. Dovlatov reprend
des études à l’université, cette fois en faculté de journalisme. Il travaille
au journal étudiant de l’université maritime et se rapproche du groupe
littéraire des Citadins fondé par les écrivains Maramzine, Efimov, Vakhtine et
Goubine. Il devient le secrétaire de l’écrivaine Vera Panova. Il se remarie en
1969 avec Elena (dont il a deux enfants, une fille, Katerina, née en 1966 et
un fils, Nicolas, né en 1984). Il parvient à publier des articles, mais ses
nouvelles sont systématiquement refusées par les revues. En 1972, il part
vivre en Estonie où il travaille pour les journaux Estonie soviétique et
Tallinn soir. Un recueil de ses nouvelles est enfin sur le point d’être
publié, mais il est interdit juste avant sa parution par le KGB d’Estonie. En
1975, Dovlatov revient à Leningrad. Il intègre la rédaction de la revue Feu de
bois, destinée à la jeunesse, puis devient guide au musée Pouchkine de
Mikhaïlovskoe qu’il décrit dans Le Domaine Pouchkine. À cette époque, séparé
de sa seconde épouse, il vit avec Tamara Zibounova et leur fille Alexandra,
née en 1975. Il les quitte par la suite et se réconcilie avec Elena. Presque
toutes ses tentatives de publier ses œuvres littéraires se soldent par des
échecs qu’il relate dans Le livre invisible. Seules quelques nouvelles
soigneusement expurgées et auto-censurées voient le jour en URSS. Son œuvre
est diffusée en samizdat et publiée à l’étranger dans les revues émigrées
Continent et Le temps et nous. Ce qui lui vaut en 1976 d’être exclu de l’union
des journalistes soviétiques. En 1978, confronté aux persécutions et à
l’impossibilité de publier, il émigre et s’installe bientôt à New York avec sa
femme Elena et sa fille Katerina, parties avant lui. Il y fonde en 1980 avec
des amis un journal hebdomadaire de langue russe Le nouvel Américain qui ne
survivra que jusqu’en 1983. Cette aventure lui fait perdre ses illusions sur
le rêve américain et lui inspire Le journal invisible. Il collabore avec
radio-Liberty, très écoutée en Union soviétique malgré le brouillage. Ses
livres voient enfin le jour (douze livres publiés en douze années
d’émigration) et ont du succès auprès des lecteurs émigrés, puis auprès d’un
public anglophone suite à ses publications dans le New Yorker. Sergueï
Dovlatov, qui a toujours brûlé la vie par les deux bouts, meurt le 24 août
1990 à New York d’une insuffisance cardiaque, alors que ses œuvres sont enfin
sur le point d’être publiées dans son pays. Le Domaine Pouchkine est édité à
Léningrad l’année de sa mort, suivi en 1991 par La Zone et Le Compromis, puis
par une édition en trois volumes en 1995. Depuis les œuvres de Dovlatov
paraissent régulièrement en Russie. Il demeure jusqu’à ce jour l’un des
auteurs les plus aimés des Russes. Plusieurs films ont été tournés d’après ses
textes. Des biographies lui sont consacrées, dont celle de son ami, l’écrivain
Valeri Popov, parue en 2010. En 2016, une statue de Dovlatov a été inaugurée à
Saint-Pétersbourg, rue Rubinstein, près de la maison où il a vécu. La
Baconnière publie l’ensemble de l’œuvre de Dovlatov en français. Sont déjà
parus Le livre invisible, le journal invisible (2017), La Filiale (2018), La
Zone (2019), La Valise (2021) et Le Domaine Pouchkine (2022).
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