Deux petites maîtresses zen
EAN13
9782889279500
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
DOMAINE FRANCAIS
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Deux petites maîtresses zen

Zoé

Domaine Francais

Indisponible

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Septembre 2019, Blaise Hofmann, grand voyageur solitaire, part six mois en
Asie avec compagne et enfants, deux petites filles, trois et deux ans
respectivement. Japon, Cambodge, Laos, Birmanie, Thaïlande, Sri Lanka, Inde.
Si les contraintes propres aux besoins ses filles supposent parfois une
frustration violente, elles sont passagères : c’est d’abord un émerveillement
de passer nuit et jour avec ces deux maîtresses zen qui sont comme chez elles
où qu’elles soient. Ce voyage est aussi l’occasion de revoir l’Asie pour le
narrateur qui y a souvent voyagé très jeune. Désormais transformée.
Standardisée, lissée, pleine des gens comme lui partout: « on est une grande
famille de gens loin de chez eux ». Le narrateur lit Pierre Loti avec vertige
: « Il viendra un temps où la terre sera bien ennuyeuse à habiter, quand on
l’aura rendue pareille d’un bout à l’autre ». Le tourisme ? « L’activité
économique qui a suivi la courbe ascendante la plus prononcée depuis 1889,
année du premier Guide Michelin » remarque Blaise Hofmann implacable. Anti-
héros, conscient d’être un acteur de ce tourisme de masse qu’il subit, il
livre un texte introspectif, aussi critique qu’ébloui, même quand un certain
virus s’invite. Voici le dernier récit de voyage avant la pandémie de
Covid-19. Les « backpackers », touristes sacs au dos désormais standards : «
On se sent en sécurité, hardi et léger, on rajeunit, on est tout excité, même
si on retrouve partout les mêmes aménagements, les mêmes parkings, les mêmes
caisses enregistreuses, les mêmes assiettes de frites, les mêmes toilettes
homme et femme » Prendre enfin le temps : l’émerveillement de voyager avec ses
filles de 2 et 3 ans: « Je n’ai pas besoin d’entendre Rousseau me parler des
petits êtres humains non pervertis par la société, je régresse en même temps
qu’elles grandissent, je ne force pas, j’accompagne le mouvement, je tue le
temps, moi l’instable, le fugitif, l’impatient qui en veut aux indécis, aux
contemplatifs, aux trop lents, qui ne veut faire que passer et qui passe à
côté de tout. » Dépit d’une Asie en toc : Les parents de l’auteur, paysans
vignerons, sont venus voir la famille voyageuse pour Noël, c’est la première
fois qu’ils sont en Asie. Blaise, inquiet de leur santé, n’ose pas les
entraîner sur des sentiers non battus, mais les spots touristiques sont si
honteux qu’il décide de les emmener voir des vignes : « Je pensais avoir plus
de chance avec le domaine viticole de Silverlake mais son immense parking ne
présageait rien de bon. Une allée bordée de bouteilles de vin géantes mène à
une vaste esplanade avec la caisse, une boutique de souvenirs, une échoppe à
glace et une vue sur le petit vignoble. Pour 150 baths, nous prenons place
dans l’un des dix bus électriques qui tournent en permanence sur le circuit
des choses à voir : trois faux moulins à blé, un faux crocodile dans un faux
étang, un faux Bouddha géant, un faux amphithéâtre, un massif de fleurs dont
les couleurs formulent des vœux pour une « happy new year ». On demande de
descendre, on préfère marcher dans les vignes… pour constater qu’elles sont
purement décoratives, avec une grappe par ci par là, (…) Devant le portrait du
propriétaire thaï, bras-dessus bras-dessous avec un vigneron australien, le
guide déguisé en œnologue ose enfin tomber les masques : oui, son patron
commande chaque année des hectolitres de vin d’Australie et ne fait
qu’étiqueter en Thaïlande. » Mondialisation vraiment partout : « Lorsque les
écoliers s’en vont, nos filles se retrouvent seules avec une petite Islandaise
de 4 ans, fille unique en voyage avec ses parents depuis un an. Elle s’appelle
Aurora, « comme les aurores », précise le père, qui s’est fait tatouer ce
prénom sur l’avant-bras. Il alimente une page Facebook, « Escape from daily
life », il fait maintenant défiler ses photos, je retrouve le Cambodge, le
Laos, la Birmanie, la Thaïlande, j’ai dans l’application Photos de mon
téléphone les mêmes sauterelles grillées, les mêmes ponts de bambous, les
mêmes processions de moinillons orange, les mêmes obus non explosés, les mêmes
balançoires suspendues à des palmiers, les mêmes montgolfières au lever du
jour et la même banderole affichée à l’entrée du Rocher du Lion à Sigiriya : «
Détestez le virus, pas les Chinois ». Mais il suffit de s’éloigner un peu des
sentiers battus et c’est le bonheur : « En deux heures de tout petits efforts,
nous retrouvons cette nature sauvage qui nous manquait tant après un mois de
voyage dans les mégapoles du Japon, assoiffés que nous étions de silence,
d’herbe, de terre, de forêts et d’absences. Nous nous déplaçons enfin en
payant de notre personne. Le temps et l’espace retrouvent leur consistance.
C’est ce genre de choses que je voudrais transmettre à mes filles : la
possible découverte du monde par la plante des pieds et la liberté qui
subsiste toujours dans la forêt. » Même si le voyage en famille, ce n’est pas
le voyage en solitaire : « Le voyage en famille est une affaire d’endurance,
de résistance. « Attention » et « non » sont les deux mots que nous prononçons
le plus fréquemment. Il y a toujours des petites sandales à mettre et enlever,
des élastique à cheveux, des tétines, des doudous, des gourdes, des chapeaux,
de la crème solaire, des jouets, des brosses à dent, des « papa, pipi », des «
finis d’abord tes légumes », des « donne-moi la main », des « on marche
jusqu’à l’arbre là-bas et puis je te porte ». Il y a souvent le son presque
inaudible de la crise de caprice qui démarre, ce besoin d’exister qui
s’impose, qui s’oppose, qui fait de plus en plus de bruit, ces pleurs qui
durent et nous enferment dans un même espace-temps. Je relativise parfois le
courage qu’il avait fallu pour guérir d’une malaria à Khartoum, pour boire un
thé à Kandahar ou traverser le Sahel en dromadaire. C’est tellement simple
quand on est seul, il suffit de forcer un peu, de serrer les dents et ça
passe. En famille, je répète mes injonctions paradoxales, calmez-vous !,
n’ayez pas peur !, dormez !, j’explose, je sors de moi, je perds les pédales,
j’ai des paroles malheureuses, j’aimerais tant rester zen, mais comment rester
zen quand cent fois par jour, elles passent des éclats de joie stridulants à
des colères subites, alors je m’énerve, sans songer à la réceptionniste
philippine qui vit à trois mille kilomètres de chez elle pour servir une
patronne acariâtre et ne voir le visage de ses filles qu’une fois par semaine
par visioconférence. » Pourtant, en famille, grâce au rythme plus lent, notre
narrateur n’a pas le choix, il doit se calmer : « Je guéris lentement de mon
hyperactivité, de mes urgences, de ma dispersion. Nous sommes à Kyoto depuis
deux semaines et je sens enfin poindre l’ennui, nous avons tout visité ce
qu’il était conseillé de visiter, une vingtaine de temples, une vingtaine de
restaurants, nous avons voyagé en train, en métro, en bus, en taxi, à vélo, de
plus en plus souvent à pied, de plus en plus lentement, des promenades sans
objectifs précis de deux kilomètres au maximum, en souriant aux inconnus, avec
des pauses pour marcher en équilibre sur des pierres, en nous courbant
régulièrement pour ramasser un truc inutile, observer des insectes, voir le
monde à quelques centimètres du sol.» En bref, un récit contemporain : « Si je
suis de la génération X (j’ai pu faire un dernier voyage déconnecté en 2001),
je voyage avec une amoureuse de la génération Y et deux enfants de la
génération Z. » Né en 1978, Blaise Hofmann vit à Lausanne. Ecrivain voyageur
par excellence, il reçoit le Prix Nicolas Bouvier 2008 au Festival Étonnants
Voyageurs (Saint Malo) pour Estive. Outre ses voyages lointains (Les Marquises
dans le récit éponyme) et proches (4 mois à s’occuper d’un troupeau à une
heure de chez lui, Estive), il a été invité en résidence d'écriture au Caire
et à New York.
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