Mensonge romantique et vérité romanesque
EAN13
9782246040798
Éditeur
Grasset
Date de publication
Langue
français
Fiches UNIMARC
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Mensonge romantique et vérité romanesque

Grasset

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Don Quichotte ne désire pas spontanément ; il imite Amadis de Gaule, le
médiateur de ses désirs. Dans le monde moderne, le médiateur n'est plus
légendaire mais réel ; le disciple désire le même objet que son modèle, il se
voit donc perpétuellement contrecarré par celui-ci et, loin de le vénérer
comme Don Quichotte vénérait Amadis, il dénonce en lui un rival injuste ou
même un persécuteur diabolique. L'homme moderne prise l'autonomie mais c'est
toujours auprès d'un médiateur qu'il cherche à se la procurer, par une
contradiction dont il n'a presque jamais conscience.
La littérature romantique répudie toute imitation et fait un dogme de
l'originalité ; le médiateur reste dissimulé. La présence de ce médiateur, par
contre, est inlassablement dénoncée dans les chefs-d'oeuvre romanesques. C'est
de la médiation que relèvent ce que Stendhal appelle vanité et ce que Jules de
Gaultier, chez Flaubert, appelle bovarysme. C'est la médiation qui régit le
mécanisme de la haine chez Dostoïevski, de la jalousie et du snobisme chez
Proust, c'est elle, enfin, qui permet d'interpréter le masochisme et le
sadisme. Les conséquences de la médiation s'aggravent à mesure que le
médiateur se rapproche du sujet désirant et ce rapprochement engendre une
dialectique qui éclaire aussi bien les analogies et les différences entre les
grandes oeuvres romanesques que l'évolution historique vers les formes
totalitaires de la sensibilité individuelle et collective.
La réflexion de l'auteur s'élargit donc en une méditation sur les problèmes de
notre temps. C'est dans l'univers de la médiation que triomphent l'angoisse,
la concurrence frénétique et les valeurs de prestige. Percevoir l'universelle
médiation, c'est dépasser les psychanalyses et l'idée marxiste d'aliénation
vers la vision dostoïevskienne qui situe la véritable liberté dans
l'alternative entre médiateur divin et médiateur humain. C'est lire l'échec de
la révolte prométhéenne non seulement dans les oeuvres littéraires mais dans
un monde qui se laisse définir non pas par le " matérialisme " ou par "
l'éloignement des dieux " mais par un sacré corrompu et " souterrain " qui
empoisonne les sources de la vie.
Telle est la vérité à laquelle le romancier lui-même ne parvient qu'à travers
l'enfer de la médiation. Il lui faut unir l'introspection et l'observation
pour créer un Don Quichotte, un Raskolnikov ou un Charlus ; il lui faut donc
reconnaître un prochain et un semblable dans le médiateur fascinant ; c'est
dire qu'il lui faut mourir à l'orgueil romantique. L'écrivain meurt dans son
oeuvre pour renaître romancier de même que le héros voit se dissiper ses
illusions au moment de la mort. Marcel Proust, dans Le Temps retrouvé, dégage
une signification éthique et esthétique commune à toutes les grandes
conclusions romanesques.
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