Eric R.

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Jean-Philippe BLONDEL

Finitude

17,00
Conseillé par (Libraire)
12 mai 2023

UN BIJOU DE ROMAN CHORAL

C’est agréable un roman choral. C’est un peu comme un puzzle qu’il faut reconstruire. On prend des bouts de vie a priori sans lien les uns avec les autres. Des lieux éloignés. Des périodes distinctes. Et un romancier talentueux se saisit de ces morceaux, les colle, les rattache et vous donne à voir finalement une image, celle de vies recomposées, d’instants anodins devenus décisifs. Pour cela il faut que l’écrivain sache capter ces moments minuscules qui vont faire finalement une vie. Dans son dernier roman « Café sans filtre », Jean-Philippe Blondel saisissait à travers les conversations de consommateurs d’un bar, les bribes d’existence de gens a priori ordinaires aux vies a priori ordinaires. Sauf qu’une vie ordinaire est déjà en soi une vie unique et donc extraordinaire.
On ne peut dire qu’il réitère avec Accès direct à la plage ce procédé puisque ce roman est en fait une réédition d’un ouvrage paru une première fois en 2003, puis en 2010 et aujourd’hui épuisé.

Comme le photographe Cartier-Bresson qui ordonnait le désordre dans son viseur de Leica, le romancier capte dans la vie de chacun ces petits riens qui font tout.

Petite, l’existence des personnages de ce roman l’est en apparence. Agent immobilier, adolescente de quinze ans qui se dit enfin « mûre », allemande de l’Est un peu paumée à l’Ouest, enfant qui a pour rêve majeur d’intégrer le club Mickey de la plage, boulanger raciste et violent mais beau et séducteur, toutes et tous n’ont rien de « héros ». Et pourtant. Pourtant, pour eux comme pour d’autres, il faut additionner les jours, les joies, les peines, certaines banales, d’autres plus exceptionnelles, additionner pour mener tant bien que mal leur existence. Ce sont des plages estivales qui vont être le point de départ de ces instants essentiels, quand la vie est faite de vacances, de rêveries, d’oisiveté, quand le quotidien laisse le temps au rêve. Ces plages, dont Jean-Philippe Blondel dit dans sa postface actualisée qu’elles sont « l’un des derniers lieux où les classes sociales se mélangent et se mettent à nu (…) », elles sont quatre: Cap-Breton en 1972, Hyères en 1982, Perros-Guirrec en 1992 et Arromanches en 2002. Une remontée géographique vers le nord et dans le temps comme une remontée dans les existences qui s’ignorent et qui vont pourtant se retrouver une dernière fois dans une maison de vacances, près des plages du débarquement. Comme un symbole.

Au final il y aura loin des espérances d’adolescent(e)s aux réalisations d’adultes. Rien ne se passe comme prévu. Le hasard, la personnalité de chacun, les rencontres, bonnes et mauvaises, rendent toute projection improbable. Comme dans un bon polar Jean-Philippe Blondel exploite cette imprévisibilité pour nous emmener dans des contrées inconnues. Il y’est même question d’un meurtre, et à défaut de suspense, on est admiratif devant la complexité et la construction d’un livre dont les chapitres s’emboîtent à la manière de poupées russes.

Dans un bar ou sur une plage, Jean-Philippe Blondel nous observe avec acuité, perspicacité, mais avec toujours humanité, celle qui permet malgré tout aux femmes et aux hommes de vivre. Tant bien que mal.