Mirontaine sta leggendo

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Professeure des écoles par correspondance et lectrice passionnée autant en littérature de jeunesse qu’en littérature générale.

24 janvier 2021

"Aux yeux de mes clients je suis quelqu'un qui console ou qui vend la plus toxique des drogues. Mais la vie m'a appris qu'il n'y a rien de moins réel que ce qu'on nomme la réalité et qu'une mort, une trahison, une souffrance cessent d'exister du moment qu'on arrive à s'en distraire. (...) Il n'est rien en effet dont nous ne fassions commerce. Cette agence est un vaste sac où on trouve de tout."

C'est une fable douce-amère, celle de Delphine qui sait depuis toute petite que les êtres humains ont besoin de réconfort. Et parfois de mensonges pour réconforter la monotonie d'une vie. Tout s'achète et se vend, même les bons sentiments. Elle crée une agence qu'elle nomme " Pour vous". Elle devient marchande de rêves et d'illusions, vendeuse de bienveillance et de tromperie. Delphine apprend la mystification et devient guérisseuse des tourments de l'âme. Delphine prête son ventre, son corps, sa tête, ses jours et ses nuits, pour vous. Elle soigne en dupant blessures, deuils et désamours. Elle est tour à tour petite fille d'un vieux monsieur impotent, confidente d'un adolescent autiste perdu dans le monde virtuel, oiseau de passage d'un couple adultérin. Un monde de tromperie où seul Jones qui lui confie les carnets d'Adorno, jeune homme qu'elle aidera à fuir en fin de vie sera capable de fissurer ses défenses. On assiste à une lente métamorphose d'une femme, sa renaissance à la vie. Le ténu de la vie et l'incongru m'ont beaucoup plu.

J'ai déposé ce livre dans le carré précieux de ma bibliothèque à côté de Je voudrais tant que tu te souviennes. Dominique Mainard décortique brillamment le mal de vivre dans notre société libérale. Elle offre une histoire acidulée et acide des temps modernes.

18,00
24 janvier 2021

Helen Keller, sourde, muette et aveugle c'est un texte lu il y a vingt ans, lors d'un stage à l'institut des enfants sourds d'Arras. Je trouvais à l'époque les publications sur le monde de la surdité et du handicap chez l'enfant assez pauvres. Le parcours d'Helen Keller m'avait profondément intriguée. Angélique Villeneuve se propose ici d'adopter le point de vue de Kate, la mère d'Helen pour raconter l'histoire d' éducation de la fillette farouche, tenue pour folle. L'autrice en postface précise les écueils possibles de ce point de vue narratif : donner à lire le portrait d'une femme dont on sait si peu. Mais Angélique Villeneuve a ce grand talent de portraitiste avec une documentation en amont si riche et si respectueuse du contexte de l'Alabama, aux lendemains de la guerre de Sécession que toutes les craintes s'évanouissent rapidement. C'est une mère qui parle, celle qui veut protéger l'enfant différente, celle qui fera preuve d'abnégation pour la confier à l'enseignante qui parviendra à surmonter le handicap. Les descriptions sont d'une grande beauté tant par l'acuité morale, mais aussi visuelle du cocon végétal où se déploie le gynécée de la mère et la fille. Forêt têtue de l'enfance, silence maternel, bruissement des bêtes et des choses, crépitement des éléments s'accordent dans une écriture sensuelle.
C'est un très beau texte où j'ai retrouvé l'univers d'Angelique Villeneuve dans les éléments floraux, l'indicible des objets et la lumière omniprésente, malgré tout.
Offrez-vous ce livre, vraiment. C'est très beau.
" Après la maladie d'Helen, les fleurs, les livres et l'observation des oiseaux sur les rives du fleuve ont été seuls à parvenir, fût-ce par brèves étreintes, à la distraire de son chagrin. "
J'aurais aimé vous recopier la page 208 et le passage du corps d'homme-oiseau, si beau.

Cambourakis

9,00
24 janvier 2021

Ce livre, je l'ai choisi d'abord intriguée par ce fil sur la première de couverture et puis l'écriture d'Ananda Devi m'aimante à chaque fois.
Dans la collection Récits d'objets du Musée des confluences , En Cheveux d'Emmanuelle Pagano était l'un de mes préférés. Le principe est d'écrire un texte sur un objet du musée.

Ananda Devi rencontre deux femmes aux cultures vieilles de plusieurs siècles : les restes d'une sépulture de Koban et une momie précolombienne. Elle tisse alors leur existence par un jeu de miroir sur son propre parcours de femme artiste. Elle nous parle de ses doutes, sa légitimité en écriture et puis elle transpose les destinées des défuntes à cette singulière convergence de l'exil aujourd'hui.

Elle donne à voir pour mieux comprendre le monde actuel et souligner nos manques, notre responsabilité et l'espoir d'un terreau qui nous relie, outre la temporalité et la culture.
J'ai corné beaucoup de pages dont celle-ci:

« Moi qui suis depuis toujours fascinée par les tissus et le tissage, par la beauté née du simple entrelacement des fils de trame et de chaîne, je vois de même éclore entre nous ce langage de coton et de lin, de soie et de laine, ce chant reliant les civilisations et les époques, cette longue continuité entre les femmes de tous lieux, de tous temps ; je pense à ce fil conducteur qui s'entremêle à mes livres sous la forme de ce long pan de cinq mètres qu'est le sari: fil ténu de la féminité et de l'emprisonnement, lui aussi m'a conduite jusqu'ici, jusqu'à cet instant précis où je lui fais face"
Il faut que je lise Le Sari vert, et je vous conseille son roman Manger l'autre.

22,00
24 janvier 2021

C'est rare que je lise un livre dont on parle trop. Je n'avais rien lu de lui. Il y avait ce film que j'avais fui, quelques années plus tôt. D'Autres vies que la mienne. Un homme qui va mal. Je voulais lire un homme qui va mal, parce qu'il est homme. Au début, son isolement me pesait. Je reposais souvent le pavé, c'est confus je disais, pour P.O.L, quand même. Cécile disait ça se lit. Caroline disait qu'elle ne voyait pas ses soirées passer. J'ai persévéré.. je l'ai lu comme on écoute un ami se confier. Parfois, sur certaines pages l'infinie tendresse et à la suivante, marre d'empathi(re). Malgré tout, continuer à lire. Où est le littéraire, je me disais parfois. Cette parenthèse passionnelle dans une chambre d'hôtel, c'est la vie. Il nous dit la vie, confusément parfois. J'ai refermé le livre comme face à un vieil ami qui se confie dont je doute toujours de sa sincérité. Cherche-t- il à séduire ? Tu crois vraiment que les lèvres gercées d'un homme électrochoc puissent encore ruser? Grandir avec des mâles siciliens vous rend hermétique à la faiblesse masculine. Ou méfiante. J'ai lu Yoga, je l'ai reposé à côté de Royaume. Un mois après, je relis les pages cornées. J'avais peur quand je lisais dans la presse son passage sur un camp de réfugiés. Erica est présente au quotidien. Emmanuel est maladroit, le dire et l'écrire, c'est déjà beaucoup. J'ai lu Yoga et j'ai retenu cette phrase " la façon dont nous nous sommes regardés avec une feinte indifférence ou pas regardés du tout, la façon dont chacun avait sans le regarder conscience de la présence de l'autre, la façon dont nous nous sommes croisés, approchés, écartés, évités, c'était une façon de faire l'amour dont la consommation aurait affaibli la puissance. "

24 janvier 2021

Depuis Le Coeur cousu, je cherche inlassablement dans les textes de littérature ce champ lexical du fil. Les Roses fauves, le dernier roman de Carole Martinez confirme son talent de conteuse. La narratrice nous emmène en Bretagne, où elle se réfugie pour écrire dans un hameau une sorte de Barbe-Bleue contemporain. Mais c'est la postière qui retient toute son attention Lola Cam, la boîteuse, conserve précieusement dans l'armoire familiale bretonne une collection de coeurs cousus, où ses ancêtres espagnoles enfermaient leurs souvenirs. Longtemps, elle a respecté la tradition de l'interdit, puis elle ouvre le coeur de sa lignée et découvre un passé teinté de réalisme magique et de merveilleux. Les vies émiettées des femmes ressemblent à celles immortalisées par Lucien Clergue. " Parfois Lola les entend s'emballer, enfermés dans leur armoire, s'emballer comme des petits cadavres de cheveux fous ou des fantômes de tissu furieux de voir leur bouche cousue à jamais ". Le sang des fables court de génération en génération, il irrigue de terreurs fauves Lola Cam et agite ses profondeurs. La narratrice accède à l'espace intime où battent les coeurs emplis de secrets. Son projet d'écriture gratte les mots volatiles de Lola. Un roman n'est pas un mensonge. Celui de Carole Martinez conte comment un jardin peut enseigner l'amour, comment une femme peut devenir fleur pour attirer les bourdons. C'est curieux de passer une bonne partie de sa vie dans les fictions, quand la raison ne tient plus qu'à un fil. Les romans ne mettent pas à l'abri, ils exposent. Parfois, la narratrice m'a perdue dans les histoires des aïeules où les roses se comportent comme des ronces. Les textes littéraires poussent comme les fleurs, en dehors du contrôle et comme les roses fauves, ils saccagent le fil narratif et tout semble décousu. Alors le roman devient gouffre où l'on file les jours à la lecture foisonnante de ce roman baroque.
" Je suis seule avec mes personnages, seule à broder un monde second à petits points, un texte que mes nuits démaillent."