Une vie en milonga

Fanny Chartres

École des Loisirs

  • 17 août 2020

    Fanny Chartres m'emmène souvent en voyage. En Roumanie avec Strada Zambila, en Bulgarie, en Turquie, en Corée du Sud et Grande-Bretagne grâce aux Inoubliables et cette fois-ci Une Vie en milonga renferme les saveurs de l'Argentine. Le lieu s'appelle Au Sans Souci, un café dans la rade de Brest. Les propriétaires ont quitté l'Argentine et ont créé une famille avec leurs enfants Alma, la plongeuse et son frère Angelo, enfant sourd. La famille est élargie par les clients habitués. Dans ce livre, subsiste encore le lien si fort entre frère et soeur comme dans Solaire. C'est pas simplement une tranche de vie c'est aussi une cause, celle du monde des enfants sourds. Dans l'écriture de Fanny, on devine les recherches en amont pour écrire l'indicible. La langue des signes s'apparente à une milonga quand les mains s'unissent pour se faire comprendre. La synesthésie s'invite à chaque page aux couleurs chatoyantes, aux parfums et sonorités de l'Argentine qu'un lexique en fin de livre vient éclairer. J'ai lu tous les romans de Fanny et j'aime beaucoup sa façon de permettre au fil des textes de mettre des mots sur des blessures enfantines comme celles du rejet ou de la différence. Elle réussit toujours à rendre perceptible la fêlure et donne l'espoir d'une issue possible. " La tristesse dans son regard avait fait place à de fins rayons lumineux, comme des fils de soie dont la fragilité n'est qu'apparence."
    La sensibilité d' Angelo l'enfant sourd prend cette forme sous la plume de Fanny " par les vibrations qui remontaient à travers les murs, il sentait les joies et les tristesses du monde des entendants. Parfois la vie n'avait pas besoin de sous-titres." Le monde des sourds est un pays ouaté où l'on écoute la beauté silencieuse du monde. La beauté d'un ciel breton, les films de Miyazaki, Triton le dieu marin comme une apparition sous-marine, la berceuse Duerme negrito, et les signes pour exprimer la rumeur du monde comme des battements de vie. Et puis ce roman, je l'aime très fort aussi pour cette phrase là: " elle aimait s'entourer de gens dont la vie était marquée de blessures invisibles et silencieuses.Comme si les douleurs et les manques s'attiraient mutuellement, pareil à des aimants. Comme si les souffrances pouvaient rapprocher les êtres. "