Especes d'espaces

Georges Perec

Galilée

  • Conseillé par
    1 septembre 2017

    Partant de la page, puis augmentant de plus en plus son point de vue, du lit à la chambre, puis à l'appartement, à l'immeuble, la rue, le quartier, la ville, la campagne, le pays, l'Europe, le monde et l'espace, Georges Perec parle des espaces et de notre place à l'intérieur.
    C'est brillant, comme à chaque fois avec Georges Perec, c'est parfois amusant ("Longtemps je me suis couché par écrit" attribué à Parcel Mroust, en ouverture de son chapitre : Le lit). Il joue avec les codes de la mise en pages, avec les citations, avec le mot "espace", enfin bref, tout en faisant un exercice stimulant et instructif, il joue et nous avec.
    "Bref, les espaces se sont multipliés, morcelés et diversifiés. Il y en a aujourd'hui de toutes tailles et de toutes sortes, pour tous les usages et pour toutes les fonctions. Vivre, c'est passer d'un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner." (p.15/16)

    Belle définition que j'aurais pu mettre en exergue de mon article, c'est la première que j'ai notée et retenue. Le reste, ce n'est que du plaisir. On repère les contraintes que l'auteur se donne pour écrire son œuvre, les envies d'écrire tel ou tel livre. Même lorsqu'il évoque des choses banales, de la vie courante, il est intéressant. Une série de verbes pour définir telle ou telle action ou des gestes du travailleur, des descriptions de scènes courantes qui paraissent simples mais à chaque fois, il y a la patte de Perec et là on se dit que la simplicité, en écriture, ce n'est pas le plus facile à faire. Qu'il y a des écrivains qui font ça bien et qu'il y a Perec.

    J'ai découvert Perec avec Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?, j'ai continué, forcément, chaque année, je tente d'en lire au moins un de plus, entre ses romans, ses essais ou récits et ses inclassables comme Espèces d'espaces, ou ses conférences comme Ce qui stimule ma racontouze. Chaque fois, c'est un régal, pourquoi m'arrêterais-je ?


  • Conseillé par
    26 juin 2011

    « L’espace de notre vie n’est ni construit, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et il se rassemble ? On sent confusément des fissures, des hiatus, des points de friction, on a parfois la vague impression que ça se coince quelque part, ou que ça éclate, ou que ça se cogne. » (Extrait du feuillet mobile intitulé « Prière d’insérer »)
    Georges Perec se lance dans une réflexion sur l’espace, sur sa nature et sur son sens. Qu’est-ce que l’espace par rapport à soi, par rapport aux autres et par rapport au monde ? « L’objet de ce livre n’est pas exactement le vide, ce serait plutôt ce qu’il y a autour, ou dedans. Mais enfin, au départ, il n’y a pas grand-chose : du rien, de l’impalpable, du pratiquement immatériel : de l’étendue, de l’extérieur, ce qui est à l’extérieur de nous, ce au milieu de quoi nous nous déplaçons, le milieu ambiant, l’espace alentour. » (p. 13)
    Partant des principes qu’« il y a plein de petits bouts d’espace » (p. 14) et que « vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner. » (p. 16), l’auteur passe en revue tous les lieux qu’il connaît, du plus intime au plus impersonnel. Son inventaire topologique commence par le lit et se finit par l’espace, tout en parcourant la chambre, en traversant l’appartement, en célébrant la ville et arpentant le pays.
    Il fait de l’écriture un jalon dans l’espace de la page : « J’écris : j’habite ma feuille de papier, je l’investis, je la parcours. Je suscite des blancs, des espaces (sauts dans le sens : discontinuités, passages, transitions). » (p. 23) L’écriture est action et actrice : elle prend la forme de sauts de ligne, de marges griffonnées, de notes de bas de page désopilantes, d’alinéas étudiés, etc. George Perec applique à l’extrême son étude de l’espace. Il aurait été vain de prétendre parler d’espace sans aborder celui qu’il connaît le mieux.
    George Perec s’impose des travaux pratiques et se livre à des exercices d’écriture que le lecteur peut reprendre. Écrire l’espace sur l’espace de la page, c’est une mise en abime sublime et infinie. Les descriptions auxquelles Perec se livre sont systématiques et peuvent sembler artificielles, mais elles découlent du besoin de fixer l’espace, de le délimiter. L’auteur est obsédé par la surface et la frontière. Où commence tel espace ? Pourquoi telle mesure plutôt que telle autre ?
    Suivre Perec dans sa quête d’espace m’a tout d’abord semblé facile et très plaisant, comme une promenade en compagnie d’un doux dingue qui connaît une ville ou un quartier comme sa poche. Mais à mesure que les pages se tournaient, le malaise empirait : l’inventaire de Perec n’est pas anodin, ce n’est pas un guide de voyage. J’y vois une carte affolée, un besoin de poser des repères pour repousser l’indéfini. Si l’auteur utilise un langage factuel et un peu mécanique, la poésie et la peur sourdent des pages se mêlent en fin de ligne.
    Les Espèces d’espaces de George Perec sont un peu les nôtres, mais les avait-on déjà regardés comme l’auteur les a vus ? Ouvrez le texte de Perec et redécouvrez le monde quotidien, c’est à prendre le vertige !